Restitution de la conférence n°4 : Les enjeux climatiques du réseau ferroviaire

L’Université de l’Ingénierie poursuit son cycle de conférences. Après avoir exploré les nouveaux enjeux de l’exploitation, poser les pistes pour mieux concevoir et transformer les infrastructures et détailler les conditions d’une maintenance optimisée, la 4ème conférence organisée par l’UdI, en partenariat avec le réseau Synapses et les Campus formation, est revenue sur les enjeux climatiques posés au réseau ferroviaire.

Pour cette avant-dernière conférence du cycle qui s’est tenue le 14 mai dernier au Campus Formation SNCF Réseau de Bègles, Hugues Bourcier de Saint Chaffray, Directeur du Campus, a accueilli Alain Quinet, Anne Petit, Véronique Lajoie et Yann Seimandi.

Leurs interventions ont permis de présenter la vision et l’approche de SNCF Réseau sur ces enjeux autour d’actions mises en place pour s’adapter et pour atténuer les effets du changement climatique, qu’il s’agisse d’adaptation des infrastructures ou de politique énergétique. Comme chaque conférence, celle-ci s’est conclue par une ouverture sur l’Europe avec un point sur les réglementations européennes actuelles et futures autour des aspects environnementaux du réseau ferroviaire.

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Alain QUINET
La mise en place d’une stratégie pour faire face au changement climatique

Alain Quinet, Directeur Général Exécutif Stratégie et Affaires Corporate chez SNCF Réseau, a dévoilé la stratégie d’adaptation au changement climatique. Mise en place depuis deux mois, elle vise à préparer le réseau ferroviaire aux défis climatiques tout en poursuivant les efforts de décarbonation.
La stratégie de SNCF Réseau repose sur deux piliers : l’atténuation et l’adaptation. L’atténuation concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre. SNCF Réseau souhaite s’inscrire dans l’objectif européen d’une décarbonation totale des activités d’ici 2050.  À ce jour, à travers ses différentes actions, l’entreprise a déjà réalisé 30% de cet objectif.
Au-delà de l’atténuation, Alain Quinet est revenu sur les grands principes de la stratégie d’adaptation qui consiste à préparer les infrastructures ferroviaires aux effets inévitables du changement climatique, comme les vagues de chaleur, les tempêtes et les inondations. Il a souligné que l’adaptation est désormais reconnue comme essentielle pour la résilience des infrastructures. Les projections climatiques indiquent en effet que le monde pourrait se réchauffer de 3 degrés d’ici la fin du siècle, ce qui signifierait un réchauffement de +4 degrés pour la France et l’Europe en raison de divers facteurs géographiques et climatiques. Alain Quinet a expliqué que l’hémisphère Nord et les terres se réchauffent plus vite que le Sud et les mers, ce qui nécessite une préparation spécifique pour une France à +4 degrés. Selon le Ministère de l’Écologie, ce scénario pourrait se concrétiser d’ici 2100 et le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’évolution du Climat (GIEC) prévient qu’on pourrait atteindre +5 degrés si les émissions de carbone continuent d’augmenter.

Si les fortes chaleurs et les incendies font partie des risques climatiques, les problèmes autour de l’eau est des inondations sont les plus complexes à prendre en compte..
Le réseau ferroviaire français est exposé aux aléas climatiques. Actuellement, 80% du réseau est en déblais ou en remblais, ce qui augmente sa vulnérabilité aux variations climatiques. Les infrastructures, notamment les ouvrages d’art et les ouvrages en terre, sont très exposés. Les retards liés au changement climatique représentent entre 3 et 7 % des causes de retard chaque année et cette tendance est en augmentation. Alain Quinet a également mentionné un événement en début d’année : un glissement de talus entre Lyon et Givors, qui a causé le déraillement d’un TER, heureusement sans conséquences pour les voyageurs, entraînant quatre jours d’immobilisation et des interventions importantes. Ce type d’incident illustre les impacts directs du changement climatique sur le réseau ferroviaire et souligne l’urgence de renforcer les mesures de prévention et d’adaptation.
Pour anticiper et atténuer ces impacts, SNCF Réseau a mis en place plusieurs mesures :

  • Adaptation de l’exploitation ferroviaire : l’entreprise utilise désormais des prévisions météorologiques de plus en plus précises pour adapter l’exploitation de ses trains.
  • Adaptation de la maintenance : la maintenance du réseau ferroviaire doit également s’adapter aux nouvelles conditions climatiques. Avec une végétation plus abondante, qui pousse 15 jours plus tôt et dont les feuilles tombent 15 jours plus tard qu’avant, la gestion de la végétation est devenue essentielle. Alain Quinet a mentionné l’abandon du glyphosate et l’importance de traiter la végétation pour éviter les départs de feu et les déstabilisations des plateformes. Des capteurs sont également installés pour surveiller la température des rails, afin de prévenir les déformations en raison de la chaleur.  L’utilisation de la peinture blanche sur les guérites de signalisation par exemple pour diminuer la chaleur.
  • Projets d’infrastructures résilientes : pour les nouvelles lignes comme la ligne à grande vitesse Nîmes-Montpellier, la conception inclut déjà des mesures pour résister aux aléas climatiques, notamment les zones marécageuses sujettes aux inondations. Cette ligne a été construite avec des structures ce qui permet la transparence hydraulique, assurant un écoulement des eaux qui ne perturbe pas la plateforme ferroviaire.
  • Innovations techniques : SNCF Réseau teste et déploie des innovations techniques pour améliorer la résilience des infrastructures. Par exemple, le développement de nouvelles techniques de rails, comme l’évolution des normes pour les longs rails soudés, améliore la résilience en période de canicule. De nouvelles caténaires sont également testées pour maintenir la tension en période de chaleur intense et des composants électroniques plus résilients sont mis en place.

Le coût de l’inaction face au changement climatique est estimé à environ 30 millions d’euros par an, ce qui inclut les dommages aux infrastructures et les pertes de péage. Ce chiffre pourrait être multiplié par deux ou trois en prenant en compte les actions déjà engagées comme le traitement de la végétation et la surveillance accrue.

Pour répondre à ces défis, SNCF Réseau mise sur l’augmentation des budgets de rénovation et de modernisation du réseau. Ces budgets permettent de rajeunir le réseau, d’introduire des composants plus résilients et de moderniser les infrastructures grâce à la digitalisation ce qui diminue ainsi la surface d’exposition aux éléments climatiques.

Enfin, Alain Quinet a souligné que la montée en puissance des budgets de rénovation et de modernisation créé plusieurs opportunités pour SNCF Réseau :

  • Rajeunissent du réseau : un réseau plus jeune est intrinsèquement plus résilient.
  • Introduction de composants résilients : les composants introduits lors des rénovations seront mieux calibrés pour anticiper une France à +2, +3, +4 degrés. Par exemple, les rails sont renouvelés tous les 30 ans, ce qui permet de les adapter progressivement aux nouvelles conditions climatiques.
  • Digitalisation : la modernisation du réseau inclut une digitalisation accrue ce qui réduit les infrastructures au sol et augmente les résiliences en diminuant la surface d’exposition.

 

Anne PETIT, Adjointe Environnement au Chef du Département Transformation Durable chez SNCF Réseau
L’adaptation climatique : la cartographie des risques pour le réseau ferroviaire

Anne Petit, Adjointe Environnement au Chef du Département Transformation Durable chez SNCF Réseau a pris la parole pour mettre en avant les défis liés à l’adaptation au changement climatique et des initiatives menées par SNCF pour anticiper et atténuer les impacts des phénomènes climatiques extrêmes sur le réseau ferroviaire.

Anne Petit a commencé son intervention en soulignant l’impact dévastateur de l’eau sur les infrastructures ferroviaires. Elle a expliqué que dans le Pas-de-Calais par exemple les inondations avaient non seulement submergé les voies mais également emporté le ballast, créant ainsi des risques de glissements de terrain. Ces événements ont immobilisé le trafic ferroviaire pendant plusieurs semaines ce qui a engendré des coûts considérables pour la remise en état et la perte d’exploitation.
Pour adapter le réseau ferroviaire, SNCF Réseau innove. Anne Petit a ainsi présenté le projet de recherche MINERVE  centré sur le BIM (Building Information Modeling) et le Jumeau Numérique de l’infrastructure ferroviaire. Ce projet, soutenu par le plan de relance de l’État, utilise la modélisation informatique pour renforcer la résilience des infrastructures face aux changements climatiques. L’objectif de MINERVE est de modéliser la vulnérabilité du réseau ferroviaire en intégrant des variables climatiques et la loi de vieillissement des composants ferroviaires. Ce projet permettra de cartographier avec précision les zones les plus à risque et de prioriser les actions à mener. Par exemple, en analysant les images satellites anciennes et en les combinant avec des projections climatiques futures, SNCF Réseau pourra anticiper les glissements de terrain et les phénomènes de ruissellement et ainsi planifier des interventions ciblées. Pour tester et affiner les modélisations, le projet MINERVE se concentre pour le moment sur la région PACA en raison de ses nombreux phénomènes climatiques extrêmes comme les feux de forêt et les fortes précipitations.
Une étude conjointe avec le CEREMA est menée pour analyser les infrastructures de transport de cette région, afin d’en tirer des enseignements applicables à l’ensemble du territoire national. L’un des objectifs principaux de MINERVE est d’identifier les zones d’action prioritaires en fonction des modélisations climatiques et des trajectoires proposées par la GIEC pour les horizons 2050, 2070 et 2100.
Parallèlement, SNCF Réseau développe un outil interne de priorisation des investissements pour cibler les infrastructures qui nécessitent des interventions urgentes.

Anne Petit est également revenue sur l’importance d’innover en matière de matériaux en s’inspirant notamment du biomimétisme, une approche qui consiste à imiter les adaptations de la nature pour créer des matériaux plus résistants et durables.

 

Véronique LAJOIE
L’ambition de SNCF Renouvelables : une révolution photovoltaïque

Véronique Lajoie, Directrice du Développement chez SNCF Renouvelables a présenté les ambitions et les projets de cette nouvelle filiale de la SNCF. Cette nouvelle filiale souhaite développer des centrales photovoltaïques pour alimenter le réseau ferroviaire. Avec des projets déjà en cours et des défis à relever, SNCF Renouvelables se positionne comme un acteur clé dans la transition énergétique de la France.

SNCF Renouvelables a décidé de tirer parti des espaces fonciers de SNCF pour développer des centrales photovoltaïques. Un projet concret est en cours près du Mans, où des terrains ont été loués à un développeur pour y construire une centrale photovoltaïque. L’objectif de la filiale est de s’élever dans la chaîne de valeur en développant et exploitant elle-même ces centrales, plutôt que de simplement louer ses terrains.

Le groupe SNCF est en effet le deuxième plus grand propriétaire foncier en France après l’État et consomme environ 10 Térawattheures d’énergie par an, dont 70 % d’électricité, ce qui correspond à la production annuelle d’un réacteur nucléaire. Cette consommation massive rend la gestion énergétique essentielle pour l’entreprise, surtout après la crise énergétique de 2022. Avec des prix atteignant jusqu’à 1000 euros par mégawattheure, cette crise a accentué l’importance stratégique de l’énergie pour l’entreprise. Cette situation a conduit à la création de SNCF Renouvelables. La crise a servi de catalyseur pour se concentrer sur la production d’énergie renouvelable et sécuriser l’approvisionnement énergétique à des prix stables.

Petite entité, SNCF Renouvelables fonctionne comme une start-up. La filiale est encore en phase de développement et se consacre d’abord aux études de faisabilité avant de commencer la production d’électricité en 2028. L’un des objectifs principaux est de sécuriser l’approvisionnement en énergie et de stabiliser les prix. Cette approche start-up permet à la filiale de rester agile et d’adapter rapidement ses stratégies aux évolutions du marché et aux nouvelles opportunités.

SNCF Renouvelables souhaite couvrir une partie des besoins en électricité de la SNCF avec sa propre production. L’entreprise a déjà identifié environ 600 hectares de terrains potentiels pour des projets photovoltaïques, avec 300 hectares actuellement en études de faisabilité. En plus de répondre aux besoins internes, SNCF Renouvelables envisage de répondre à des besoins locaux en énergie, en particulier dans des régions qui développent des projets d’hydrogène pour les trains.

Le développement de centrales photovoltaïques présente plusieurs défis notamment l’obtention d’autorisations administratives, le raccordement des sites et la gestion des impacts sur la biodiversité. Véronique Lajoie a souligné que les projets nécessitent de nombreuses études d’impact et de faisabilité ainsi que des démarches administratives complexes. Les changements réglementaires rapides ajoutent une couche de complexité. La loi d’accélération de la production des énergies renouvelables, par exemple, a créé un cadre favorable mais nécessite encore des décrets d’application pour clarifier certains aspects pratiques.

SNCF Renouvelables explore également des projets de recherche et développement comme le projet Respire en Occitanie. Ce projet vise à améliorer le stockage et l’injection directe d’énergie dans les sous-stations et répond ainsi aux besoins spécifiques de consommation lorsque les trains passent. Cette approche innovante pourrait transformer la manière dont l’énergie est stockée et utilisée.

 

Yann SEIMANDI
Le Pacte Vert Européen et son impact sur les transports

Yann Seimandi, représentant de la Commission européenne en tant que Policy Officer a partagé sa vision sur l’importance du transport dans le cadre du Pacte Vert Européen. Son discours a mis en avant les objectifs de l’Union Européenne pour décarboniser le secteur des transports et les initiatives en cours pour atteindre ces objectifs.
Les élections européennes, prévues pour le 9 juin, joueront un rôle essentiel dans la mise en œuvre des initiatives du Green Deal. Depuis 2019, la nouvelle Commission Européenne a introduit ce Pacte Vert et fixe des objectifs clairs pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.
Yann Seimandi a souligné que le secteur des transports représente environ 25% des émissions totales de l’UE, faisant de sa décarbonisation une priorité majeure. Il a détaillé plusieurs objectifs clés pour les transports dans le cadre du Green Deal :

  • Neutralité Carbone d’ici 2050 : l’objectif est d’atteindre la neutralité carbone pour toutes les industries, y compris les transports.
  • Réduction des émissions d’ici 2030 : un objectif intermédiaire qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% d’ici 2030. Cela nécessite des efforts concertés de tous les secteurs, y compris les citoyens et les industries.
  • Électrification et carburants alternatifs : l’augmentation de l’électrification des chemins de fer et le développement de technologies de carburants alternatifs, tels que les trains à hydrogène et à batterie, sont des composants critiques. Aujourd’hui, environ 57% des chemins de fer européens sont électrifiés avec l’objectif d’augmenter cette part.
  • Doublement du trafic de passagers à grande vitesse : l’un des objectifs ambitieux est de doubler le trafic de passagers à grande vitesse d’ici 2030. Cela inclut des initiatives pour améliorer les services de billetterie et l’interopérabilité entre les opérateurs ferroviaires.
  • Développement du fret ferroviaire : le Green Deal prévoit également de doubler le trafic du fret ferroviaire d’ici 2050. Cela se fera par étapes avec des jalons en 2030, 2045 et 2050 pour standardiser et améliorer les infrastructures de fret.

Pour Yann Seimandi, l’un des principaux défis est le développement et la modernisation des infrastructures. Il a souligné l’importance de l’harmonisation des normes techniques à travers l’Europe pour assurer l’interopérabilité des réseaux de transport. Par exemple, la standardisation des compteurs énergétiques et des systèmes d’accouplement automatique numérique (DAC) est essentielle pour améliorer l’efficacité opérationnelle.

La numérisation joue un rôle important dans l’optimisation des capacités et l’efficacité des réseaux de transport. Yann Seimandi a mentionné que la gestion numérique de la capacité et la billetterie numérique sont des priorités pour la Commission européenne. Ces initiatives vont permettre une gestion plus transparente et plus efficace des réseaux de transport en augmentant la capacité de 15% grâce à la numérisation.

Yann Seimandi a également parlé des innovations technologiques comme les trains à hydrogène et à batterie. Actuellement, environ 57% des lignes ferroviaires européennes sont électrifiées et il est nécessaire d’augmenter cette part pour réduire les émissions. Là où l’électrification n’est pas possible, les carburants alternatifs offrent des solutions viables. Par exemple, les trains à batterie nécessitent des infrastructures de recharge standardisées à l’échelle européenne.

Rendez-vous pour la 5ème conférence qui viendra clôturer ce cycle autour du défi de la formation et des compétences à l’Université de l’Ingénierie le mardi 2 juillet.